Des représentations pariétales de la grotte de Lascaux, à la période bleue de Picasso, aux pièces de Molière, au théâtre de l’absurde de Ionesco, aux sculpture de Camille Claudel, à la diva de la soul Aretha Franklin, à « l’instant décisif »[1] capté par Cartier-Bresson, au street-art de Banksy et … jusqu’à votre dernière photo Instagram®(il s’agit d’art populaire contemporain, en parallèle à l’art vernaculaire tel que les photos de W. EVANS), nous pouvons établir ce constat : l’art fait partie intégrante de notre quotidien.
Walker Evans, « Alabama Tenant Farmer Floyd Bourroughs », 1936
L’Art peut se définir comme la : « Création d’objets ou de mises en scène spécifiques destinées à produire chez l’homme un état particulier de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique. » [1]. S’entend le procédé et la finalité de l’acte de créer avec une volonté de produire un effet et, potentiellement, une délectation du beau formel. Néanmoins, hormis produire une œuvre et laisser une empreinte derrière nous, à quoi l’Art nous sert-il [2]? A quels besoins peut répondre la création chez l’humain ? Dans ce premier volet, il est question d’ouvrir une réflexion sur l’Art et de l’examiner sous l’angle de la psychologie.
L’Art : entre ouverture et créativité
Cette définition du CNRTL[3] (empruntée à Proust) lance le débat sur l’ouverture au monde offert par l’Art : « Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre (…) autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition (…) bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial ». Par l’Art, je peux entrer en relation avec les représentations d’un autre, même d’un temps révolu. Léonard de Vinci évoquait déjà ce partage universel : « Faites que votre tableau soit toujours une ouverture au monde. ».
Si nous parlons d’Art, parlons également du processus de création et de créativité. Créer c’est « réaliser des œuvres originales qui portent la marque de ses sentiments, de sa pensée, de sa personnalité »[4]. La créativité ou faire preuve de créativité c’est trouver hors de soi des réponses nouvelles à des situations qui posent problèmes. EINSTEIN d’affirmer : « La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse. »
L’ART permet d’exprimer et de susciter des émotions, d’ouvrir un regard sur le monde et fait appel à la créativité, il nous offre ainsi de nombreux possibles. Serait-ce tout ce que l’Art recouvre ? Vraiment tout ?
L’Art sous l’angle psy
Freud[5] a considéré l’Art du point de vue psychanalytique et a développé le concept de sublimation. Il désigne par sublimation le mécanisme par lequel les pulsions (sexuelle et/ou agressive) sont détournées et mises à la disposition du processus de création chez l’être humain en vue de concevoir une œuvre socialement valorisée. Ainsi, j’écris un poème à mon aimé-e lorsque son absence me pèse lourdement. Ou comme Ronsard (1578), je dédie des Sonnets pour Hélène afin de l’inciter à « cueillir dès aujourd’hui les roses de la vie » (tandis que cette dernière se lamente de la perte de son amant) et j’emploie tous les procédés poétiques pour déclarer ma flamme, de manière bien particulière …
[1] https://m.studio-jiminy.fr/31-linstant-d%C3%A9cisif-d9211820818
[2] https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/tztJXT2 / © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art . © Fernando Maquieira, Cromotex
[3] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/art/5509
[4] https://apdconnaissances.com/2018/04/02/a-quoi-ca-sert-lart/
[5] https://www.cnrtl.fr/definition/art / PROUST (Le Temps retrouvé, 1922, p. 895)
[6] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cr%C3%A9er/20326
[7] Mijolla-Mellor Sophie ‘‘La sublimation : un concept majeur‘‘/ https://www.jdpsychologues.fr/article/la-sublimation-un-concept-majeur
La notion de sublimation ayant fait couler beaucoup d’encre dans le monde psy (en deçà de la plume des artistes), nous resterons sur l’idée du mouvement pulsionnel qui favorise le processus créatif. L’artiste, Niki de Saint Phalle[1], exprime en ces mots la catharsis via l’Art : “Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme. C’était une façon de domestiquer ces dragons qui ont toujours surgi dans mon travail.”
Pour étayer ce propos sur l’Art du point de vue psychologique, il existe un art japonais nommé le « KINTSUGI » : l’art de la résilience. Le procédé consiste à réparer des objets brisés avec de l’or : il s’agit de montrer et sublimer les blessures. L’objet acquiert alors une autre beauté voire plus de résistance.
Un objet du quotient réparé à la façon du Kintsugi
Créativité et construction identitaire
Dirigeons-nous maintenant vers le monde de l’enfance et de la créativité. Les spécialistes reconnaissent son apport dans la construction identitaire des enfants et des adolescents. Winnicott, pédiatre et psychanalyste, a érigé la créativité comme un des éléments majeurs de sa théorie sur le développement de l’enfant : « Si la créativité occupe une place prépondérante dans l’œuvre théorique de Winnicott, c’est parce qu’elle est synonyme de « vie », « d’être vivant », de « se sentir réel » (…) la créativité influe sur la qualité des relations que le sujet entretiendra avec la réalité tout autant que sur sa propre aspiration à vivre et à exister. » (Aubourg[1], 2003).
Pour les individus en devenir que sont les adolescents, la créativité est l’occasion de sortir de soi, de vivre autrement les processus en jeu durant cette période de transformation. La sublimation adolescente peut les aider à dé-passer cette phase de turbulence (changements physiques, hormonaux, psychiques, sociétaux), à mieux vivre cette métamorphose[2] et les angoisses associées.
Le peintre et sculpteur français, Garouste, est persuadé de l’importance de l’art et de la créativité pour le développement de l’enfant : « Favoriser l’épanouissement de l’enfant et l’éveiller à l’art, c’est cultiver sa sensibilité́, son imagination, son intelligence, dans la perspective d’en faire un être de désir. ». Avec sa femme Elizabeth, ils ont fondé l’association La Source[3] pour soutenir « l’épanouissement des enfants en situation de fragilité́ à travers l’accès à l’art et à la culture ».
L’Art possède de nombreuses fonctions pour l’Homme, de tous temps, de tous âges. Il offre un espace pour se penser, se projeter hors de soi, pour affronter nos pulsions, dépasser nos angoisses et notre condition d’humain.
Dans son livre « Créer, c’est exister », l’artiste enseignante V. Belmokhtar[4] nous incite à développer une pratique créative régulière : « lorsque l’on crée chaque jour, on aboutit assez rapidement à un état de joie et de bien-être inégalable (…) En créant, vous vous ancrez dans l’« être » plutôt que dans l’«avoir »».
L’Art se décline sous tous les types possibles [5]: les arts plastiques, la BD, le cinéma, la danse, la littérature, la musique, la peinture, la photo, le théâtre, etc. ; tout-un-chacun peut y trouver son médium. Nul besoin d’être artiste professionnel pour créer et prendre ce moment pour soi. Le frein à dépasser à l’âge adulte est de s’y autoriser comme le soulignait Picasso : « Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. »
Et vous, l’Art, ça vous parle comment ?
NDLR : Lors du prochain volet, nous ferons un focus sur l’Art Thérapie et l’interview d’une art-thérapeute.
[8] https://www.connaissancedesarts.com/musees/grand-palais/niki-de-saint-phalle-lere-des-nanas-11128123/
[9] https://e-writers.fr/art-kintsugi
[10] AUBOURG Frédérick, « Winnicott et la créativité », Le Coq-héron, 2003/2 (no 173), p. 21-30. DOI : 10.3917/cohe.173.0021. https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2003-2-page-21.htm
[11] http://scope.copes.fr/creativite-a-ladolescence-sublimer-rever-se-penser/
[12] https://www.associationlasource.fr/
[13] Valérie BELMOKHTAR (2019). Créer c’est exister, comment développer une pratique créative au quotidien. Pyramyd Editions.
[1] https://histoiredesarts.culture.gouv.fr/Fiches-reperes
